Bill Gates versus Gary Kildall – Une histoire vraiment intéressante !
Voici la petite histoire du premier système d’exploitation destiné aux micro-ordinateurs personnels; l’article original est paru en décembre 1994, il a refait surface sur le Net, probablement pour rappeler aux supporters de Bill Gates ce qui lui a permis d’atteindre la gloire et la richesse.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas Bill Gates, il s’agit du président fondateur de Microsoft, le géant des logiciels qui produit les systèmes d’exploitation Windows 7 et Windows 10 ainsi qu’une quantité phénoménale de logiciels, tels que Microsoft Word, Office, Microsoft Access, etc. Aussi appelé « le psychopathe de la seringue ».
Gary Kildall fut un brillant programmeur à qui l’on doit le premier système d’exploitation viable destiné aux ordinateurs personnels. Jusqu’à sa mort il fut un alcoolique amer et obsédé, dont les accomplissements phénoménaux furent assombris par l’homme qu’il considérait comme un châtiment, Bill Gates. Même si la chute tragique de Kildall peut s’expliquer par ses propres échecs, l’histoire de sa vie illustre également la transformation de l’industrie du PC d’un paradis pour programmeurs vers la dure réalité des affaires.
Peu de gens parmi la foule bruyante d’un bar de Monterey en Californie ce sont aperçus de la chute de cet homme dans la cinquantaine se frappant la tête contre le sol un soir de juillet.
Et peu ont réalisé que celui qui était tombé tout près d’eux avait autrefois combattu contre Bill Gates pour s’accaparer de la couronne du roi du logiciel. La fin tragique de Gary Kildall est survenue le 8 juillet 1994 à l’âge de 52 ans, à la suite d’une longue glissade vers les bas fonds, faisant d’un programmeur génial un alcoolique obsessionnel qui, lorsqu’il était sobre, passait le plus clair de son temps à fantasmer sur de futurs triomphes ou nourrissait sa rancune contre Gates. Treize ans auparavant, Gates et Kildall combattaient pour la suprématie du logiciel, mais de manière différente. « Un scénariste d’Hollywood n’aurait pu écrire un meilleur script: Voici Kildall, un scientifique, possédant une excellente formation, original et généreux, » mentionne Daniel Davis, un ami de longue date qui rencontra Kildall pour la première fois en 1969 et qui travailla avec lui pendant plusieurs années. « Et voici Gates : qui a abandonné le collège, programmeur autodidacte et génial imitateur. Sous plusieurs angles, Kildall et Gates sont de parfaits contraires. Leur histoire en dit autant sur la nature du succès en Amérique que sur eux mêmes. »
Au tout début, Kildall était considéré comme un génie avec un instinct naturel de découvreur dans les technologies innovatrices. Sa compagnie a produit le système d’exploitation CP/M pour les ordinateurs personnels. Mais au moment où la vente des PC était sur le point d’exploser, il a perdu ce que plusieurs considéraient comme ses droits acquis lorsque Gates a conclu un accord pour Microsoft concernant la vente du MS-DOS pour les PC d’IBM. L’accord, précurseur de la grande richesse de Gates, était celui que Kildall avait manqué. Kildall défait et amer, commença à succomber à la séduction de la richesse apportée par sa compagnie en pleine expansion, Digital Research Inc. (DRI). Il a passé le reste de sa vie énigmatique à vivre selon sa propre expression: « Celui qui meurt avec le plus de jouets gagne. » Plutôt que de faire de la programmation, il a préféré folâtrer avec son Jet, ses bateaux, ses motocyclettes et sa flotte de voitures luxueuses, incluant trois Lamborghinis.
Les jouets n’ont jamais calmé ses problèmes les plus profonds. À la fin, il se sentait injustement éclipsé par Gates, qu’il a accusé d’avoir volé le CP/M. Dans ses mémoires non publiées, qu’il a complété avant sa mort, Kildall ridiculisait Gates en disant qu’il était « un usager qui a tout pris de moi ». En décembre 1993, il disait à un vieux collègue: « Lorsque je regarde le MS-DOS, j’y vois mon âme. »
Mais Kildall est probablement une victime de ses propres échecs, plutôt que des attaques venant des autres. Malgré son intelligence, son bon sens et son charme, il n’était pas capable de faire face aux soubresauts du succès ou de réaliser à quel point son manque de combativité créait des opportunités à Gates et ses autres rivaux. « C’était une excellente personne, » raconte sa mère Emma Kildall. « Il était très naïf et peu attentif. Il n’avait pas le sens des affaires et personne ne lui disait de se battre. »
Pendant longtemps, Kildall a bien réussi sans avoir à se battre. Ayant grandi à Seattle, comme Gates, Kildall était doué pour les mathématiques. Il aimait également la mer, naviguant sous les ordres de son père, qui possédait une école de navigation. Il était attiré par les gadgets également, bien qu’il le cachait. Il a gardé secret très longtemps ses meilleurs coups. Adolescent, il rampait sous sa maison et celles de ses voisins pour trafiquer les lignes téléphoniques et écouter les conversations. Il prenait un malin plaisir à écouter les bavardages de sa soeur avec ses petits copains.
Pendant qu’il fréquentait l’université de Washington, Kildall épousa sa bien aimée, Dorothy, et obtenu par la suite un doctorat en informatique. Sa thèse de doctorat a reposé sur la création de formules de codage permettant de compiler des programmes écrits dans de vieux langages de programmation sous de nouveaux langages. Face au spectre de la guerre du Vietnam, il a réussi à obtenir une exemption de service militaire en acceptant d’enseigner à l’école navale de Monterey.
En 1973, son intérêt dans la conversion de programmes d’un langage vers un autre le mena à l’écriture de son CP/M, un petit et rapide système d’exploitation pour la famille des microprocesseurs d’Intel. Ces puces étaient le coeur des micro-ordinateurs qui faisaient leur entrée sur le marché. Le système d’exploitation de Kildall, qui ne lui pris que deux semaines à programmer, rendait pour la première fois un PC utile.
Kildall pris une décision qui devait s’avérer être un coup d’éclat : vendre son CP/M pour la modique somme de $75 par copie, c’était à l’époque où les systèmes d’exploitation des gros ordinateurs se vendaient des milliers de dollars. Le système d’exploitation avec son prix on fait de DRI, que Kildall dirigeait avec sa femme, un succès sans précédent. La compagnie a vendu des centaines de milliers de copies du CP/M pendant plusieurs années, rapportant 50 cents pour chaque dollar vendu. Le torrent de dollars fut un « Alice au pays des merveilles », se rappelle Davis, un des premiers employés de DRI. « On ne comprenait d’où venait tout cet argent. »
DANSER AVEC « BIG BLUE »
Lorsqu’en 1980 IBM approcha Kildall et sa femme pour discuter de l’acquisition des droits du CP/M, les Kildall furent pris par surprise. Le matin de la rencontre, Kildall était en vol à l’extérieur et l’avocat de la compagnie bousilla l’entente en refusant de signer ce qui apparaissait être une entente provisoire trop restrictive. Même une fois la poussière retombée et que Kildall arriva pour se joindre à la rencontre, lui et sa femme demeurèrent soupçonneux envers IBM. Ils étaient inquiets à l’idée de partager certaines informations et réticent à abandonner des redevances sur le CP/M en retour d’un montant d’achat global.
« Ce n’était pas évident pour eux qu’IBM allait réussir », se rappelle Jackie Morby, un partenaire dans une firme de Boston TA Associates et alors un membre du conseil d’administration de DRI. « D’un autre côté, Digital Research avait plusieurs autres clients et Gary était inquiet sur l’effet qu’auraient eu des termes favorables accordés à IBM. » IBM et DRI n’ont jamais pu s’accorder sur les termes d’une entente. Kildall a raconté plus tard qu’IBM cherchait à acheter tous les droits du CP/M pour seulement $200,000.
Alors que Kildall tenait à une entente plus libérale, IBM s’est tourné vers Gates, qui a sauté sur la chance de conclure une entente avec le plus gros fabricant d’ordinateurs au monde. Pour satisfaire IBM, il a rapidement acquis les droits d’un clone du CP/M qu’avait écrit un programmeur du nom de Tim Patterson, Gates l’a par la suite rebaptiser MS-DOS. Lorsque le PC d’IBM est devenu un gros succès, le DOS le devint également, IBM le vendait pour $40 la copie. Soudainement le CP/M est devenu moins intéressant car il n’avait pas la bénédiction d’IBM. Lors d’une conférence organisée par le financier Ben Rosen, Gates jubilait sa victoire lors d’un débat avec Kildall, qui insistait poliment pour dire que l’industrie naissante du PC avait suffisamment de place pour deux compagnies de logiciels gagnantes. Gates n’en était pas si certain, ce rappel un spectateur. « Il n’y a de place que pour une seule compagnie de logiciels » a-t-il rétorqué.
Maintenant en situation de rattrapage, DRI pataugeait. Le conseil d’administration a débattu pendant plusieurs mois la possibilité d’intenter une poursuite contre Microsoft et IBM, pour ce que Kildall considérait le vol du CP/M. Microsoft et IBM démentait que le DOS empiétait sur les droits d’auteur du CP/M. Patterson, le créateur du précurseur du DOS, disait la même chose, cependant il consentait qu’il avait « imité les fonctionnalités du CP/M » et choisi « les mêmes commandes utilisateurs » pour les trois cas suivant: type, rename et erase.
A bien y penser aujourd’hui, DRI aurait pu monter une action légale contre le DOS, avec une victoire possible mais non sans de nombreuses embûches. Kildall n’était cependant pas le type à intenter des poursuites. Il a abandonné l’idée de poursuivre pour protéger ses droits d’auteur, suivant ainsi les conseils de son avocat, celui-ci argumentait qu’il y avait un manque de précédents l’égaux dans les atteintes aux droits des logiciels. Des années plus tard, Kildall aurait avoué à des amis que suivre les conseils de son avocat avait probablement tué DRI.
Comme à son habitude, il a exagéré les dommages infligés par son rival. L’attaque de Gates était un appel aux armes, mais il n’a pas combattu. Il ne voulait pas, par exemple, suivre Microsoft dans le marché lucratif des applications de Bureautique tels que les traitements de textes et les chiffriers électroniques, disant que cela entrait en conflit avec la mission de DRI, orientée vers les systèmes d’exploitation. C’était une raison honorable, mais qui a poursuivi et affecté Kildall jour après jour, parce qu’à cette époque le marché des applications de Bureautique était grand ouvert.
Suivant son manque de réalisme, il croyait fermement à l’utilisation domestique des ordinateurs et passait beaucoup de temps sur des programmes simples qui ne menait à rien alors que le marché domestique n’était pas encore né. Il demandait futilement à IBM de laisser tomber Gates en sa faveur. Malgré les défaites, Kildall apparaissait extérieurement à l’aise. Programmeur obsédé, il programmait lors de réunions avec des collègues, et surprenait tout le monde « en posant une question alors que tous croyaient qu’il n’écoutait pas » se rappelle John Wharton, un ami et ancien travailleur chez DRI.
Kildall n’avait aucune patience pour les formalités. Lors d’une réunion du conseil d’administration de DRI en 1983, il écoutait sa femme se plaindre de l’enfant d’un employé qui venait lui rendre visite trop souvent. Elle proposa de couper le bonus de l’employé. C’est alors que la propre fille de Kildall se précipite dans la salle, s’assoit sur les genoux de son père et lui annonce qu’elle avait besoin d’être reconduite à son cours d’équitation. Kildall quitta promptement la salle avec sa fille, sans jamais revenir à la réunion.
« C’est alors que j’ai su qu’il n’avait jamais été sérieux en affaires avec DRI », se rappelle une personne présente à la réunion. Le monde des affaires n’avait aucune emprise sur Kildall. « J’aimais l’appeler l’entrepreneur à contrecoeur » mentionne Stuart Cheifet, qui a co-animé l’émission de télévision « Computer Chronicles » avec Kildall. « Il était le président de ce qui semblait être une grosse compagnie et il haïssait cela. »
LA FAMILLE ÉCLATE
Beau et charismatique, Kildall démontrait beaucoup plus d’intérêt dans la compagnie des femmes, que dans les ententes commerciales. En 1983, Kildall et sa femme divorce, il commence alors à faire du charme aux femmes travaillant chez DRI. Le divorce « a plané au-dessus de la compagnie comme un nuage d’orage », mentionne Alan Cooper, alors programmeur chez DRI. C’était la fin d’une époque. Les Kildall voyaient DRI comme une grande famille. Parcimonieux dans la distribution de bonus et d’actions, ils considéraient néanmoins leurs employés comme des amis. Le sentiment était partagé. Les employés étaient irrévocablement liés les uns aux autres par l’entremise de DRI, même si ce fût court.
Ce qui rendit le divorce entre Kildall et sa femme encore plus triste. « Elle avait bâtit l’entreprise et elle voulait la conserver, cependant elle n’avait pas l’habilité pour la faire croître », mentionne Cooper. « Gary avait l’habilité mais ne voulait pas des affaires. Il ne voulait que l’argent pour payer ses passe-temps ». Et cette tension interne, plutôt que les attaques venant de l’extérieur, est ce qui a mis fin à CP/M, croit Cooper. « Gary était conservateur », ajoute-t-il. »Ses programmes étaient purs et parfaits, il opposait une résistance à toutes les améliorations demandées par les utilisateurs. Si ceux-ci demandaient des fonctionnalités particulières, il répondait: « Je ne crois pas que c’est la meilleur chose à faire. » Il pensait comme un scientifique: « Pourquoi devrais-je saccager mon expérimentation ? »
Kildall demeurait calme extérieurement alors que les tensions augmentaient. « Il n’était pas de ceux qui confient leurs plus profondes pensées et leurs problèmes », ajoute Morby. Il ne changea pas non plus sa façon de faire. Au moment de son divorce, il fût séduit à l’idée de marier les ordinateurs et la vidéo. À cette époque personne n’avait encore songé à faire cela. Il fit construire un studio vidéo dans le sous-sol de sa maison de Pebble Beach en Californie et débuta les expérimentations sur l’accession directe de la vidéo par l’ordinateur. Impressionné par le tout nouveau disque laser, il s’est arrangé pour recevoir de la vidéo directement de celui-ci; alors à titre expérimental il fit un vidéo d’un vol acrobatique. Il était le pilote.
Les expériences de Kildall sur ce qui devait s’appeler plus tard le multimédia, l’amena à préparer la première conférence sur ce sujet en 1985. Kildall était alors le responsable d’une toute nouvelle compagnie de multimédia, KnowledgeSet, et il imagina sa conférence comme une rampe de lancement pour ceux intéressés dans les nouveaux médias électroniques. Alors qu’il visitait sa ville natale, Kildall parla à Gates de ses plans. Gates reconnu là une idée géniale. Il planifia rapidement sa propre conférence, prévue pour mars 1986, et invita audacieusement Kildall comme premier conférencier.
Dans sa naïveté, Kildall fut flatté. Il accepta l’invitation et laissa tomber l’idée de sa propre conférence et se promit de faire un discours retentissant à la conférence de Gates, sans réaliser que cela ne ferait que renforcer son rival. « Nous lui avions dit qu’il jouait le jeu de Gates, mais il ne nous a pas cru », mentionne Cooper.
Finalement Kildall commença à montrer des signes de surmenage suite à plusieurs opportunités en or manquées. Il quitta DRI pour l’écriture de petits logiciels éducationnels, dans un langage assez simple permettant à de jeunes étudiants d’apprendre facilement. Il cherchait à rendre tout le monde de bons programmeurs. Le langage le plus populaire du temps, le Basic, était en avance sur les autres langages, mais encore trop abstrait pour la majorité des gens. Dans ses mémoires, Kildall raconte sa « bataille contre le langage Basic » dont la version PC la plus populaire était vendue par nul autre que Microsoft (Gates lui-même avait écrit la version originale). « J’avais le sentiment que les jeunes utilisant le Basic sur l’Apple II et le nouveau PC d’IBM apprenaient des méthodes archaïques de résolution de problèmes », écrit Kildall. « Une nouvelle alternative était apparue, un langage de programmation appelé Logo. J’ai conçu le Logo de Digital Research, ou Dr. Logo, comme il fut appelé. Logo apprend aux jeunes comment résoudre des problèmes complexes. »
Encore une fois, Kildall était en avance sur son temps. Son logiciel était effectivement innovateur, mais personne ne savait comment le commercialiser, de plus Microsoft faisait une grande promotion du langage Basic. Dr. Logo ne s’est presque pas vendu, laissant Kildall encore plus frustré que jamais. Comme il l’écrit plus tard: « C’est à ce moment que j’ai compris que les ordinateurs avaient été conçus pour faire de l’argent et non pour l’esprit. »
Un Kildall désillusionné démissionne comme président directeur général de DRI en 1986, laissant la compagnie à elle seule. Dès lors, sa situation financière était assurée pour la vie, avec des millions en banque et encore plus de millions en actions qu’il a conservées de DRI. Curieusement, l’argent a pesé beaucoup sur lui. Il commença à fréquenter les bars, mélangeant alcool et vie social dans ce qui ressemblait plus à une vie de jeune collégien qu’à celle d’un gourou du logiciel. Dans ces nuits passées dans les bars, il s’inquiétait de ce que quelqu’un lui cherche bataille. Il confessa à un ami que si quelqu’un le battait, il ne riposterait pas. Son opposant pourrait s’apercevoir de sa richesse et le poursuivre en dommages. L’argent avait transformé Kildall, d’une manière qu’il ne comprenait lui-même que partiellement. « Etre devenu très riche, très rapidement, ce fut désorientant pour lui », raconte Davis, un ami de longue date. « Aujourd’hui, j’ai tendance à croire qu’il était un peu perdu. »
Kildall passait de plus en plus son temps en vacances à la Nouvelle Orléans, assistait à des courses automobiles à Monaco, restaurait des voitures anciennes et parlait philosophie. Même si Kildall n’avait aucun plan précis, « J’ai toujours espéré qu’il referait surface avec une bonne idée dans le domaine (des logiciels) », mentionne son fils, Scott.
UNE VIE EN DEHORS DE LA RÉALITÉ
Ca ne devait pas l’être. En 1991 DRI était acheté par Novell Inc., Provo, Utha, pour la somme de $80 millions. Rempli d’argent, Kildall succombe à l’alcoolisme. « Il aurait pu se perdre dans les ordinateurs, dans ses avions, et ses voitures, mais il était perdu dans sa propre vie », raconte Barry Stade, un ami qui a tenté de l’aider à arrêter de boire. Kildall, qui vivait alors à Austin, Texas, assistait à des réunions des AA de temps à autre et rencontra trois fois un thérapeute, la dernière fois en septembre 1993. Mais Stade et d’autres amis ont dit qu’il évitait de faire face à son alcoolisme.
Il a continué à s’amuser avec des gadgets et préparait un immense projet, un système téléphonique résidentiel d’échange qui n’a jamais vu le jour. Il a écrit des histoires d’enfant et des petits spectacles qui n’ont pas été publiés. Cela faisait maintenant de nombreuses années qu’il n’avait pas contribué techniquement à un projet complet, et certains ont pensé que sa période créative était terminée. D’autres par contre croyaient que derrière sa surface superficielle de débauché, se mijotait un gros coup, une percée dans le mariage entre les ordinateurs et la téléphonie. « Ce n’était pas un homme fini », mentionne Tom Lafleur, qui aida Kildall dans son travail sur le multimédia. « Gary prend du repos pour jouer avec ses gadgets, puis il s’attelle au boulot et la magie en sort ».
Son second mariage avec Karen Jean Kildall s’effondre, il l’avait rencontré chez DRI et s’était marié en 1986. Elle a demandé le divorce en juillet 1993, alléguant que les « actions et omissions de son mari ont détruit toute la légitimité dans la relation du couple et que cela prévenait toute possibilité de réconciliation », selon les relevés de la cour de justice du comté de Travis, Texas.
Kildall n’a pas contesté cela, même s’il a offert de fournir comme preuve des photographies de lui montrant des blessures que lui avait infligé sa femme avec une queue de billard. A cause de la nature bouffonne de Kildall, « ce fut un divorce fort divertissant », se rappelle John Barrett, l’avocat de madame Kildall.
Suivant son habitude, Kildall dissimulait une douleur profonde. « Il ne se sentait pas bien », mentionne sa soeur, Patricia Guberlet. « Il a eu des hauts et des bas durant son divorce. À l’été de 1994, le divorce était presque complété, avec les dispositions finales de propriété à venir. Dès lors, le peu d’intérêt qui restait à Kildall fut consacré à ses mémoires intitulés « Computer Chronicles ». En décembre, il en donne des copies à quelques amis, leur demandant de faire des commentaires.
« Son but était de réfuté les mythes, de raconter les débuts de l’industrie tel que ça s’était produit », raconte Jim Warren, fondateur et pionnier de la foire d’ordinateur West Coast Computer Faire. Le plus gros mythe, selon Kildall, entourait le rôle joué par Gates. Dans son livre, Kildall a accusé Gates d’engager une « conspiration » avec IBM pour contrecarrer les innovations dans le domaine du PC pour ainsi protéger les gigantesques investissements d’IBM dans les gros ordinateurs (mainframe) et facilité Microsoft dans les investissements des programmes au-delà de MS-DOS. Crédible, cependant les spéculations de Kildall ne tiennent pas compte des évidentes tensions continuelles entre Gates et IBM depuis le tout début de leur partenariat.
Kildall ne possédait plus la moindre parcelle d’objectivité au sujet de Gates, maintenant célébré comme le plus grand visionnaire de la haute technologie et le plus habile homme d’affaires de sa génération. L’obsession de Kildall pour Gates frôlait le pathologique. Il croyait que Gates le faisait suivre, ou qu’il s’assurait de savoir qu’elles étaient ses dernières et meilleures idées. Il a même raconté à des amis qu’il conservait une liste de 10 avancements technologiques auxquels il avait rêvé et sur lesquels Gates avait capitalisé.
« Gary était dans tous ses états envers Gates », raconte John Heilbron, un écrivain informatique qui a aidé Kildall à trouver un éditeur pour son livre. « Mais honnêtement, il était riche, et il n’avait rien à faire. Dans une situation comme celle là, vous pouvez rester assis et devenir obsédé par n’importe quoi, et c’est ce qui est arrivé. »
Kildall désirait désespérément publier son livre, et en juillet de cette année Heilbron pensait qu’un accord pouvait être conclu avec l’éditeur Random House. Mais avant que Kildall ait eu le temps d’expédier le livre à l’éditeur potentiel, lui et sa petite amie, Patricia Marra, visitèrent Monterey le 8 juillet, où ils dînèrent dans un restaurant italien. Kildall avait apparemment bu sans réserve. Un peu avant 23 heures, son ami Barry Stade qui demeure à Monterey, raconte qu’il est entré dans le restaurant, a salué Kildall et tenté d’engager la conversation. Surpris de voir Kildall avec un surplus de poids, fatigué et distant, Stade resta un moment par curiosité, se disant que Kildall « avait l’air d’un mort vivant ». Il regarda tranquillement alors que Kildall, portant une veste de cuir noire avec l’emblème Harley Davidson, quitta le restaurant avec Marra et disparurent au bout d’une rue.
Kildall se dirigea à travers un stationnement chez Franklin Street Bar & Grill. Un groupe jouait dans le bar plein à craquer. Kildall et Marra se séparèrent dès leur entrée, elle le vit plus tard gisant sur le sol.
Six heures plus tard Kildall se rendit finalement à l’hôpital, mais on lui donna rapidement son congé. Le coup à sa tête avait causé une hémorragie et le sang s’accumulait entre son crâne et son cerveau. Il retourna à l’hôpital ce même samedi et mourut deux jours plus tard.
Tout comme la vie de Kildall, sa mort est un mystère. « Nous voulons connaître la vérité », mentionne son fils, Scott. Le coroner a conclu à une mort « suspecte » et suggéré qu’elle est pu survenir suite à un solide coup. Stade est d’accord: « Il y avait là des motards (dans le bar) que Gary a offensé d’une quelconque manière, et un des gars l’a probablement poussé ou frappé. Gary n’a pas riposté. »
La police de Monterey, qui a mené l’enquête, n’avait aucun suspect. Les détectives ont mentionné les problèmes d’alcool de Kildall pour conclure à une mort accidentelle. Ils n’ont pas été capables de trouver une personne qui fut témoin de la cause de la chute de Kildall. « Seule une personne l’a vu lorsqu’il atterrissait sur le sol, c’est tout », indique le sergent Frank Sollecito du département de la police de Monterey. Même Kildall n’était pas tout à fait certain de ce qui s’était passé. « Il était dans les vapes et il ne se rappelait pas pourquoi il était là bas », mentionne Sollecito. La police a mentionné qu’elle ne pourra jamais être certaine de ce qui a causé la chute mortelle.
MYSTÉRIEUX JUSQU’A LA FIN
On ne s’entendra probablement pas non plus sur la signification de la vie de Kildall. Du point de vue de la technologie, ses réalisations furent indéniables. Il fit des contributions vitales à l’essor de l’ordinateur personnel et également dans le domaine des logiciels. Dans les années 70, il se pencha sur les deux plus grands défis technologiques de l’ère de l’information. Avec ses compilateurs et ses algorithmes, il a rendu plus simple la migration des programmes existants vers les nouveaux PC. Au même moment il créait de nouvelles façons d’utiliser les ordinateurs et d’exploiter leur incroyable puissance. Immatures par rapport aux standards actuels, ses programmes étaient élégants et d’une simplicité déconcertante.
Dans les années 80, Kildall fut parmi les premiers à chercher des solutions aux problèmes technologiques de la convergence de la télévision et de l’ordinateur, de l’image et des données. Des efforts rudimentaires, mais qui ont clairement pavé la voie au multimédia du futur, si présent aujourd’hui. De même, son projet inachevé d’échange téléphonique anticipait l’incohérence actuelle dans l’agencement de la panoplie d’appareils électroniques domestiques.
Oui, pour tout cela, Kildall a raté des opportunités qui ont porté ombrage à ses réalisations. Son succès en affaires n’était pas à dédaigner. Il est injuste de croire qu’un tout petit changement dans son destin lui aurait valu la richesse de Gates; cela banalise les talents de Gates et atténue les défauts de Kildall. Kildall fait partie de la longue liste des pionniers, qui ont marqué l’automobile en passant par la radio, jusqu’à l’ordinateur, et qui n’ont pas su capitaliser sur leurs inventions et tombèrent rapidement dans l’oubli. Il vivait dans un monde à part où « le trop d’attention portée à la technique mène à la ruine. »
Kildall était incroyable pour flairer les tendances mais totalement incapable de mettre en place l’infrastructure de connaissances et de techniques pour les supporter. Cette manière d’agir est essentielle au succès des technologies en affaires, où seule l’invention ne suffit pas à faire époque, mais l’ensemble des innovations dans le domaine. Cependant cette manière allait à l’encontre de l’esprit aléatoire qui a dominé la vie de Kildall, jusqu’à sa mort.
Il y a encore plus dans la tragédie de Kildall. Ses amis et sa famille sont tentés de le voir comme un ange déchu, un visionnaire trop bon pour ce monde cruel. Il y a de la vérité dans cela. Kildall entre parfaitement dans une tragédie beaucoup plus grande: la chute des programmeurs de logiciels qui ont le même âge que l’ordinateur personnel et qui ce sont vus comme de nouveaux artistes.
« L’histoire de Kildall est celle d’un paradis perdu, celle du côté noir de la révolution de l’ordinateur par ceux qu’ils l’ont fait », mentionne R. Dennis Hayes, un auteur de San Francisco qui a écrit « Behind the Silicon Curtain », l’histoire de la haute de la technologie. « Une fois le génie du logiciel sorti de sa bouteille, l’esthétique que portait Kildall était refaçonnée par le monde cruel des affaires et du profit. »
Le nouveau monde n’a pas toujours été agréable; et ce n’était pas celui que Kildall désirait habiter. Voilà ce que disent les quelques amis qui ont perçu la mort de Kildall comme un lent suicide. « L’alcool était son arme de prédilection », raconte Cooper, le collègue de DRI. « Il est probablement parti malheureux ». Et peut être que l’alcool l’a aidé à ne pas faire face à la réalité: le châtiment de Kildall n’était pas Bill Gates, mais plutôt la fin d’une adolescence d’informaticien.